Histoire jusqu'à l'Apocalypse
Luis Marίa MARTINEZ PEREZ, père de Fran (PEREZ est son matronyme qu'il n'a pas conservé lors de sa naturalisation)
Katie Elizabeth TAYLOR ép. MARTINEZ, mère de Fran
Juana RAMIREZ LOPEZ, employeuse de Fran
Elijah CAMPBELL, conjoint de Fran
| Début 2005 | Le père de Fran,
Luis, arrive au bout de son contrat de huit ans au sein de l’US Army. Il a obtenu ce qu’il désirait à travers ce dernier ; soit la nationalité US, une situation stable financièrement, et des formations. Mais vétéran de l'Irak, et notamment de Fallujah, il est marqué par ce qu'il a vécu outre atlantique et n’aspire plus qu’à une vie paisible avec sa femme,
Katie, la mère de Fran. Mariés depuis 9 ans, voilà presque 4 ans qu'ils veulent avoir des enfants mais le contexte ne le permet pas.
Maintenant de retour à la vie civile, Luis trouve un emploi dans l'armurerie du père de Katie. Elle travaille également et gagne plutôt bien sa vie en tant que commerciale pour une entreprise relativement décente à l'échelle de l'Etat.
| 13 février 2006 | Naissance de Fran à Dallas. Katie quitte son emploi pour s'occuper d'elle à temps plein, après une grossesse relativement difficile. Elle ne reprendra le travail que quand son propre père souhaitera prendre sa retraite, et elle reprend le flambeau de l'entreprise familiale en s'occupant de la vente. Elle sera responsable de la légère amélioration de leur niveau de vie, en captant assez vite l'importance d'internet et de la vente en ligne ; dont elle finira par se charger de la logistique. Fran est une fille timide, calme et réservée durant son enfance ; mais se révèle être assez active et curieuse chez les girl scouts. Elle ne fait pas de remous, vit une vie normale et typique d'une gamine de suburbs américains. Elle n'a jamais manqué de rien, a toujours eut le soutien et l'affection de ses deux parents.
| 2024 | Après une scolarité moyenne sans doute due à un manque de concentration et parfois d'implication, poussée à poursuivre des études, elle se lance dans un cursus pour obtenir un bachelor de sciences. Mais elle y va sans grande conviction, et cette première année est une catastrophe. Elle ne sait pas trop ce qu'elle veut faire de sa vie, se dit qu'elle va travailler un an pour prendre une année sabbatique ensuite, et commence à faire de la salle en restauration. Elle accumule de l'argent mais acquiert une certaine indépendance et autonomie qui lui plaît. Elle en profite pour voyager.
| 2026 | Elle décide finalement de ne pas reprendre ses études, et continue d'osciller entre travail et voyages. Elle commence à être ambitieuse, et se met en tête de faire complètement mais tronçon par tronçon, le Sentier des Appalaches.
Incitée par son petit-ami de l’époque qui souhaite passer plus de temps avec elle, elle quitte la salle pour devenir barmaid dans son établissement. Elle passe des bonnes années, et économise toujours de l’argent malgré les voyages ; parce qu'elle vit toujours chez ses parents.
| 2029 | En se séparant de son petit-ami, elle perd son emploi. La rupture étant un peu dramatique, ses parents essaient de la soutenir et l’aider comme ils peuvent. Sa mère demande à une amie à elle de l’employer dans son restaurant en tant que commis de cuisine pour quelques temps, elle accepte. Elle voyage de moins en moins, se sédentarise dans une vie plus simple et confortable de routine.
| 2031 | C’est une belle année pour Fran qui rencontre un nouvel homme dans sa vie, Elijah, un garde-chasse du Cedar Hill National Park. C'est là où ils se sont rencontrés, puisqu'elle passe le plus clair de son temps libre. Juana, l'amie de sa mère et son employeuse, l'a prise en cuisinière à temps plein et ne souhaite pas la voir partir. Ils vivent une idylle tranquille, s'installent assez vite et naturellement ensemble.
7 avril 2034, Cedar Hill, TxElle tire sur sa cigarette une dernière fois, avant de l’écraser dans son cendrier. Son regard, un peu éteint par la fatigue, s’illumine en voyant un pick-up qu’elle connaît bien s’insérer dans le parking employé du restaurant. Un large sourire fend son visage, et elle s’en approche en profitant au passage de pouvoir jeter son mégot à la poubelle.
Elle ne perd pas de temps, et enlace l’homme en uniforme de garde-chasse qui en descend qui fait mine de résister dans un premier temps. Ils forment un drôle mais adorable petit couple, typiquement texan. Une petite brune aux traits hispaniques, avec un solide gaillard barbu, à la chevelure châtain qui tire vers le roux. Ils s’embrassent, avant que Elijah s’écarte pour la réprimander :
«
Voyons, madame. Ce n’est pas professionnel ! — Ah ? Et quand est-il des affreux fonctionnaires qui abusent de leur fonction pour séduire des pauvres promeneuses ?— C’est aussi illégal que pas professionnel. Peut-être avez-vous un matricule à me communiquer, que je signale ce comportement abominable ? »
Elle fait mine de se décaler pour observer de plus près son badge sur lequel est écrit ce dernier, justement. Mais alors qu’il s’apprête à répondre, la porte de service du restaurant ; la même devant laquelle Fran fumait ; s’ouvre pour présenter une silhouette en contrejour.
Les deux s’écartent pudiquement, et se font un petit signe entendu ; le service est terminée, le plus clair du ménage est fait. Elle n’a plus grand chose à faire, si ce n’est attendre l’approbation de sa chef pour partir. C’est cette dernière qui, justement est à la porte et l’accueille en lui demandant :
« Est-ce qu’Elijah veut un petit café ou quelque chose à boire, ma puce ? demande gentiment la vieille hispanique.
— C’est adorable, mais, mes parents nous attendent. C’est l’anniversaire de mon père, aujourd’hui. — Oh, c’est vrai ! J’avais complètement oublié, alors que je l’ai appelé ce matin. Je ne vais pas les priver de leur unique fille. Profitez bien de votre soirée ! »
Elle semble vraiment désolée, mais Fran ne lui en veut pas. Elle la gratifie d’un sourire sincère, la salue et se contente de récupérer son sac posé contre le mur avant de se diriger d’une démarche pressée vers son taxi. Elle embarque, posant ses affaires entre ses pieds.
Elle pose volontairement la main sur celle de son petit-ami alors qu’il est en train de passer la voiture en marche arrière. Ils s’échangent un regard complice, sans échanger un mot dans un premier temps.
Une fois bien en route, pris dans le trafic occasionnel de milieu d'après-midi, Elijah s’intéresse à la journée de sa tendre :
«
Alors, ce service ? — Super, très calme. Pas terrible pour Juana du coup. Et toi, ta journée ?— Pas terrible. Encore des lunatiques qui massacrent des animaux. Faut vraiment qu’on tombe dessus »
Elle ne répond pas dans un premier temps, après avoir acquiescé gravement. Puis, revient au sujet initial, comme s’il venait d’aborder un sujet tabou ; ce qui était le cas. Elle soupire et commence avec un peu d’hésitation:
«
Je crois que je… Je ne me vois pas faire ça toute ma vie.— Alors fais toi confiance, et lance toi. — Arrête… — Sincèrement, Fran. Je te fais confiance. Je crois en toi. T’es douée, t’es créative. T’as assez d’argent de côté pour que la banque t’accorde un prêt. Et, au besoin, je peux… — T’es vraiment le plus adorable. J’ai… j’ai juste besoin d’un peu plus de temps.— Je comprends. Et puis, le contexte n’aide pas… »
Elle ne répond pas ; il tourne la tête vers elle, lui offre un petit sourire, avant de porter à nouveau son regard sur la route. Aujourd’hui est une belle journée, et, elle lui a demandé de faire abstraction de toutes ses horreurs qui passent aux actualités.
Mais elle n’a même pas fait attention à cette référence, de toute façon. Elle est plongée dans ses pensées, repense à son parcours un peu chaotique. Elle n’a jamais été très scolaire, et pourtant, elle a tenté de se lancer dans des études. En insistant un petit peu, elle aurait pu s’en sortir ; la biologie l’intéresse vraiment, étant une véritable amoureuse de la nature.
Au final, elle a arrêté très vite, et a enchaîné les petits boulots. En commençant par l’entreprise familiale, une modeste armurerie locale. Elle qui votait démocrate a passé près d’un an à contribuer à la vente d’armes, et ce, sans jamais en avoir tiré une. Un paradoxe qui maintenant la fait rire, et réaliser que ce qui compte avant tout, ce n’est pas de savoir, c’est de sembler savoir.
Puis elle s’est essayé au service, que ce soit en salle ou au bar. L’expérience n’a pas été déplaisante, mais ce n’est pas ce qu’elle voulait réellement. Et puis, elle a vécu sa première grosse relation avec le fils de son patron, donc, quand ils se sont séparés, les choses ont été… compliquées.
Pour changer, elle s’est essayée à la cuisine, et, c’est une véritable révélation. Embauchée par l’une des amies de la famille, elle apprend vite et travaille bien. Elle aime ça, mais ce qu’elle préfère, c’est la pâtisserie. C’est elle qui fait tous les desserts du petit restaurant familial où elle travaille.
Mais elle doit supporter les heures de service, et le fait d’être que deux cuisiniers et donc de devoir aider sur le reste. C’est ce qui faisait l’objet de leur discussion ; Elijah lui a conseillé d’ouvrir une pâtisserie, et, depuis, elle cogite énormément à ce sujet. Elle ne réalise pas qu’elle n’aura jamais l’occasion de le faire.
15 avril 2034, Cedar Hill, Tx«
Luis ! le réprimande sévèrement Katie.
Arrête avec tes délires survivalistes. — Regarde. Regarde les infos, Kat'. Ce qui s'passe là, moi je vous dis que c'est ce qu'on craignait en Irak. Sauf que ça se passe chez nous.
— Le gouvernement va...
— Ce n'est pas la gouvernement qui va prendre soin de ma famille. Il marque un instant d'arrêt, semble redescendre en prenant quelques respirations.
Katie. Fran. Je vous aime toutes les deux. Très fort. Faites moi confiance. »
Le silence est pesant autour de cette petite tablée où la petite famille prenait jusque là son repas. Un repas qui est vite devenu une réunion de crise. Le père se laisse distraire un instant en regardant par la fenêtre les voisins finir de charger leur voiture. Puis, il pose ses couverts, appuie ses coudes sur la table en joignant ses deux mains devant lui. Il soupire longuement, et annonce simplement :
«
Je vais faire le nécessaire, d'accord ? Katie, il faudra que tu m'aides à l'armurerie. J'ai déjà prévenu Mitch et Billie pour demain. Faut qu'on fasse vite avant que des pillards soient tentés ou qu'on fasse l'objet d'une réquisition. Fran, annonce-t-il en croisant son regard qui en dit long.
Fran, juste... Reste chez toi, s'il te plaît. Reste avec Elijah. Et dis lui de m'appeler. Lui comprendra. — Mais Juana... — Arrête. Tu n'ouvres pas ton restaurant dans un merdier pareil. Katie va l'appeler, te tracasse pas. Juste, reste chez toi. » termine-t-il en mettant l'accent sur chaque mot.
Fran regarde toujours son père, un peu hagarde. Sa décision de ne pas poursuivre ses études ; celle de quand même partir en voyage pendant que le pays était en proie à une hausse de la criminalité ; rien n'a jamais fait autant réagir son père que cette situation. Alors elle ne sait pas trop quoi dire, quoi faire, quand elle même refuse de regarder la réalité en face. Toutes ces histoires, c'est trop. Juste trop. Est-ce une mauvaise blague ? Un mauvais rêve qui dure trop ? Les médias ne cessent d'en parler, alors elle s'en est coupée. Mais les gens ne font que en parler. On lui force une réalité qu'elle refuse d'accepter ; et est incapable d'imaginer que l'enfer que traversent certains peut venir frapper sa petite vie tranquille. Alors même qu'elle commence à avoir de réels projets, et de réels ambitions ; ouvrir son café, fonder sa propre famille.
Les jours passent, et, la réalité de la situation s'enfonce peu à peu dans celle de la pauvre Fran.
28 avril 2034, Cedar Hill, TxAssise sur son canapé, le regard de Fran se perd dans la neige de sa télévision. Sa main agrippe encore la télécommande. Elle qui refusait jusque là d'accepter la réalité des choses est forcée de constater que ce n'est pas une blague. C'est la dure réalité. Elle a déjà fait deux fois le tour des chaînes ; plus rien. Elle laisse alors tomber l'appareil devenu inutile, sans même éteindre l'écran qui continue de baigner la pièce de cette luminosité si étrange et fluctuante. Elle prend son téléphone, le déverrouille mais le met en veille quasi-instantanément. Plus d'internet non plus. Elle laisse basculer sa tête en arrière, ferme ses yeux, pousse un soupir. Elle prend quelques secondes, ou plutôt quelques minutes pour encaisser dans le silence.
Toutes ses images ne sont pas celles des fictions qui ont constitué sa culture jusqu'à présent ; elles sont sa réalité. La réalité. Son père avait raison, après tout. Elle retourne sur son téléphone, va sur la conversation de groupe de famille. La dernière discussion avant que le réseau ne se coupe tournait autour d'un sujet qu'elle n'aurait jamais abordé en temps normal ; elle part d'une image envoyée par son père. On y voit une bombe exploser au dessus d'une ville américaine dans une étrange gerbe blanche. Son père commente alors simplement que la situation est complètement hors de contrôle s'ils doivent utiliser Willie Pete. Et elle, bêtement, lui demande qui est ce monsieur. "WP. Phosphore Blanc" est donc techniquement le dernier message qu'elle aura reçu de son père.
Mais plus vraiment besoin de ce genre de constations, de toute façon, pour comprendre que leur monde est bouleversé. Le Texas est encore relativement épargné, mais pour combien de temps ?
Elle pousse un soupir et se lève finalement pour se diriger vers la pièce qui leur sert de bureau. Elijah s'y trouve, et debout, il étudie visiblement quelque chose. En s'approchant, elle réalise que c'est une carte. Il l'entend sans doute venir, mais ne réagit pas ; alors qu'elle se contente de l'enlacer par derrière, le verrouillant entre ses bras qui semblent ridicules à côté des siens. Elle se colle à lui quelques instants, puis, lui glisse :
«
Je suis désolée. — Tu n'as pas à l'être, tu sais. — Je t'aime. — Moi aussi, je t'aime, lâche-t-il doucement et sincèrement.
— J'ai juste peur. Peur pour toi. Peur de me retrouver seule...— Tu n'es pas seule, Fran. Tes parents sont là pour toi. »
C'est un peu amer qu'il lâche ça ; lui même n'ayant pas une relation aussi saine avec ses géniteurs. Fran tire une moue un peu triste à ce constat, mais fini par lui rétorquer :
«
Et tu n'es pas seul. Je suis là pour toi. — Je sais. Et je sais que ton père a raison quand il dit qu'il faut partir. C'est juste que... je ne peux pas. J'ai des responsabilités, un devoir. — Tu es garde-chasse. Il y a aussi des biches où il veut nous emmener, tu sais. »
Il glousse un peu faiblement à sa tentative de rendre la situation plus lègre, se tourne pour la prendre dans ses bras alors qu'il lui annonce :
«
La police compte sur nous pour aider à garder l'ordre. Tous les gars sont restés. Je reste aussi. — Alors nous restons. Ensemble— Mais ton père... »
Il capte son regard chargé d'émotions, il décide de se taire. Il la serre un peu plus fort dans ses bras, plongeant son nez dans ses cheveux.
12 Mai 2034, Cedar Hill, Tx ; chez elle«
Elijah ! Reste avec moi. Reste avec moi, je t’en supplie ! »
Il ne répond pas, ou du moins, pas verbalement. Il tousse, puis crache du sang. Du sang s’échappe comme il peut entre ses lèvres entrouvertes, suivant les fils carmins déjà formés dans sa barbe.
L'apocalypse est aux portes de la ville, et, il a été en première ligne pour essayer de l'endiguer. Depuis le 4 mai, la situation se dégrade de plus en plus. Les gens fuient, pillent, paniquent ou se suicident simplement face à la gravité de la situation. Mais Elijah a fait le choix de maintenir son cap, et de rester fidèle à son poste. Certains de ses anciens collègues ont cédé et ont abandonné, comme beaucoup, mais pas lui. Il s'est d'ailleurs pris le bec une nouvelle fois avec Fran pour cette même raison. Son père leur a encore une fois demandé aujourd'hui d'accepter de partir avec eux. Le garde-chasse refuse encore, au grand dam de sa tendre.
Une bonne heure plus tôt, il tenait un checkpoint avec d'autres miliciens quand des gens paniqués ont commencé à forcer le barrage. Dans la panique, quelqu'un a commencé à tirer. La scène est devenue une véritable fusillade, puis, boucherie quand ces créatures sont venues s'y inviter. Il s'est fait lacérer au bras et au cou par des ongles alors qu'il tentait comme il pouvait de se dégager. Il ne lui fallut pas bien longtemps pour commencer à sentir ce mal l'atteindre. Chaque respiration est plus pénible que la précédente. Le goût du fer l'envahit alors qu'il commence à éructer du sang. Il panique, purement et simplement. Au delà de toute raison, se doutant de son sort, il n'a même pas réfléchi, et est simplement allé retrouver celle qu'il aime ; scellant indirectement son destin.
Des spasmes agitent son visage déjà déformé par la douleur. Fran, paniquée et sanglotant le secoue pour essayer de le faire revenir. Elle capte un mouvement de son bras, de sa main. Elle baisse les yeux lorsqu’un léger bruit de glissement retentit ; il a la main sur son arme, et vient d’ouvrir la bride.
«
Non, non, non, non ! » répète-t-elle complètement paniquée et horrifiée par cette suggestion silencieuse.
Il s’agite alors plus brusquement, la bouche grande ouverte mais incapable de crier ; à la place, le bruit d’un gargouillement horrible. Qu’est-ce qu’elle doit faire ? Le temps qu’elle formule la question dans sa tête, et il est trop tard. Il s’immobilise. Elle le tire alors, et, encore en larmes, essaie de se souvenir comment faire un massage cardiaque. Mais ses souvenirs sont loin, et sa pratique inexistante.
Sa technique est donc mauvaise. Elle se fatigue vite en utilisant ses bras plutôt que son poids, et elle casse probablement toutes ses côtes. Durant de longues minutes, elle s’acharne, s’épuisant complètement. Mais elle n'arrête pas, presque dans un état de transe ou de frénésie. Elle n'est que l'ombre d'elle même, pauvre ère épuisée par des longues nuits d'insomnie après avoir vu son monde s'effondrer sans qu'elle n'ait son mot à dire. Dans un état second, elle s'affaisse et s'effondre après un moment, ses nerfs lâchant complètement.
Quelqu’un toque à la porte de façon frénétique, ce qui la fait sursauter et la force à un retour à la réalité ; mais alors que les chocs contre le bois de sa porte s'intensifie, elle remarque quelque chose qui lui donne un élan de joie. Elijah s'anime ! Mais cette joie n'est pas accompagnée de lucidité. Encore dans un état de choc, ses nerfs plus qu'à vif, elle ne réalise même pas ce qui est en train de se passer malgré le fait qu'elle sait pertinemment que ce n'est probablement plus l'homme qu'elle aimait. Elle éclate en sanglots, et prends la créature qui l'a remplacé dans les bras.
Il ne lui faut qu'un instant pour comprendre son erreur ; et, elle n'aura pas le temps de vraiment le faire de toute façon. Une douleur terrible la foudroie alors que le monstre plante ses crocs dans sa chair, et commence à lui arracher une bonne partie de son trapèze ; emportant avec lui peau, muscle et tendon. Elle pousse un début de cri qui s'étouffe vite dans son sang, alors qu'un bruit de craquement de bois résonne, puis celui d'un objet métallique qui tombe puis roule sur le sol.
Fusil en main, Luis scanne l’entrée en l’espace d’un instant. Mais il ne perd pas de temps avant de progresser dans la maison plongé dans une semi-obscurité que vient terrasser la lampe de son arme d’un pas rapide et décidé. Il contrôle la cuisine, personne. Le séjour, personne. Il percute la porte de la chambre de son pied, et tombe sur sa fille qui enlace celui qui aurait être son futur gendre.
Il vit un ascenseur émotionnel ; est rassuré l'espace d'un court instant, puis, quand il pose la lampe sur les deux, c'est le carmin du sang de sa fille que met en valeur la lumière blanche, puissante, de sa lampe. Il réalise avec effroi que ce n’est plus lui, ou du moins, plus vraiment ; et que ce qu'il est en train de dévorer, c'est sa propre fille. Il ne perd pas un seul instant, et, d'une agressivité que l'expérience du combat lui a apporté, s'enfonce dans la pièce, prend un angle, et percute une, puis deux fois.
La détonation, malgré le réducteur de son, résonne dans la pièce et fait siffler ses oreilles déjà abimées. Puis, il double le coup ; lui faisant complètement sauter le caisson et libérant indirectement sa fille de l’étreinte de ses mâchoires. Elle s'effondre sur le côté, une main se portant instinctivement sur sa blessure béante, où il manque une partie de son trapèze. Elle essaie de parler, mais sa voix est noyée dans son propre sang et ne produit que des gargouillements.
Il laisse tomber son fusil retenu par une sangle alors qu'il se met à genoux, et essaie de porter secours à sa fille. Il la lève, et la fait se reposer contre sa jambe. Quand il croise son regard, ses propres yeux s'humidifient et il commence à pleurer. Elle essaie de lui parler, mais il vient maintenir sa mâchoire de sa main, et passe son pouce sur sa joue alors qu'il lui commence à lui dire :
«
— Shhh... Fran. ça va aller, trésor. ça va aller. »
Elle fait non faiblement de la tête, et commence déjà à fermer ses yeux de plus en plus lentement. Entre l'hémorragie massive, et le fait qu'elle s'étouffe dans son sang, même un chirurgien avec tous les outils nécessaires à une opération n'aurait pas garanti sa survie. Le vétéran s'en doute, mais, il s'agit de sa fille. Il passe sa main sur son front pour écarter les cheveux qui sont venus s’y coller. Il a déjà vécu ce moment ; accompagner quelqu'un dans ses derniers moments. Mais jamais il n'aurait pensé à avoir à le vivre avec sa propre fille. Il n'allait pas la laisser partir sans essayer, se répète-t-il encore une fois.
Il sort un couteau de sa poche et le déplie dans le même geste, coupe la bretelle déjà partiellement déchirée de son débardeur pour dégager la plaie correctement. Il laisse tomber son bug out bag, accède à son kit de premiers secours. Il vide littéralement le flacon de désinfectant sur la blessure de sa fille. Le transparent du liquide se mêle avec le rouge de son sang. Sans perdre de temps, il sort une gaze quikclot, la déballe et commence à la bourrer frénétiquement dans la blessure. Il lui répète en même temps :
«
Regarde moi ma puce, regarde moi. ça va aller. Je t'aime. Je t'aime très fort, j'espère que tu le sais. »
Il la sent essayer d'agripper de sa petite main poisseuse de sang son avant-bras, cherchant un contact physique rassurant. Il regarde la bande hémostatique s'imbiber de sang avec impuissance, et réalise qu'il est plus en train de gâcher une précieuse ressource que de sauver sa fille déjà perdue. Il arrête son point de compression, saisit la main de sa fille et pleure alors qu'il sent la pression qu'elle exerce sur la sienne diminuer.
Des bruits de pas résonnent derrière lui, venant troubler leurs adieux. Il tourne la tête, et voit que les coups de feu ne sont pas passés inaperçus. Il pousse un cri de colère, et une réalité le pousse à en accepter une autre. Il la dépose doucement sur le côté ; puis se lève et prend son arme en main.
C'est la dernière chose qu'elle voit ; un visage familier tordu par la douleur et le désespoir, puis une silhouette floue qui laisse place aux ténèbres, et au néant.