Histoire jusqu'à l'Apocalypse
En ces temps de délicatesse et de certitude, un jeune couple dans la fin de leur vingtaine s’étaient, contre toute attente, finalement dit oui. Oui pour une vie commune et oui afin de partager leur amour jusqu’à la fin de leur vie. Viktor Eïbojenko était un homme tout à fait respectable, il avait immigré aux États-Unis depuis plusieurs années et s’était trouvé un emploi comme commis de bureau chez Desjardins. Sa femme quant à elle, Priscilia Cooper, était une Américaine comme les autres, outre le fait qu’elle soit Urgentologue.
Une fois les vœux échangés, le couple Eïbojenko s’est retrouvé dans le Maryland, à Baltimore, à la suite d'une requête de l’hôpital s’y situant. Un compromis avait été fait, une maisonnette sans flafla contre une proximité avec l’université John-Hopkins dans le but d’assurer un contrôle sur le cheminement académique de leur progéniture. Ils n’eurent qu’un seul enfant une fois les pieds dans la mi-trentaine, une belle petite bouille à la chevelure dorée et aux yeux d’un bleu profond prénommée Petra.
L'enfance de cette délicate enfant avait été tout ce qu'il y a de plus basique, banal et dans une formalité conventionnelle. Petra était enfant unique et disposait ainsi d'une attention complète de la part de ses géniteurs. Jeune, elle avait ce sourire croqué sous ses pommettes rosées et sa curiosité déambulait dans la bibliothèque du salon à toutes heures.
Son père était bien plus souvent présent en comparaison avec sa mère, ce qui amenait la douce enfant à apprendre énormément sur ses origines russes. Elle en apprenait les chants, la base du langage et bien plus encore.
14 OCTOBRE 201821:35:07L’éclairage coloré que créait ce changement entre le rouge, le blanc et le bleu des voitures de polices, avait ce petit quelque chose de réconfortant. Le froid serrait très fort la poitrine de cette tête dorée tandis qu’une vague de chaleur incessante venait lui enflammer les joues. On lui avait entouré les épaules dans plusieurs couvertures chauffantes pendant qu’une demoiselle ne cessait de créer une pression circulaire dans le haut du dos de l’enfant.
‘’Tu verras, ce n’est pas la fin du monde…’’ avait-elle murmuré dans une tentative maladroite de réconfort, se mordillant la lèvre sans attendre d’avoir terminé sa phrase, cette phrase vide de sens. Vide, tel était les sentiments qui enserraient les émotions de la jeune Petra à ce moment précis.
L’agitation tout autour lui donnait un mal de tête, ou peut-être était-ce dû à la collision qui était survenue plus tôt. Sa petite main glacée avait touché sa tempe un instant seulement, effleurant le bandage qu’ils y avaient appliqué. Sa perception était compromise, mélangée alors que la scène devant elle devenait de plus en plus vaporeuse.
‘’Je suis fatigué…’’ On lui avait ordonné de ne pas sombrer dans le sommeil, mais ce qui devait arriver arriva et la belle enfant s'endormit sans crier gare.
Elle n’avait ainsi pas eu à assister à l’extraction des corps familiers de la carcasse de leur voiture, elle n’avait pas non plus eu à voir leur expressions faciales fermées pendant que leurs membres raides se faisaient coincer sur leurs civières respectives. Elle n’avait pas eu à subir les flots de sanglots des uns et des autres qui juraient n’être responsables de rien. Rien, Petra ne s’était réveillée qu’une fois le brouhaha terminé et bien au chaud sur son lit d'hôpital.
Pauline Cooper se trouvait à son chevet, affairée à tricoter distraitement ce qui devait, ou devrait ressembler à une couverture. Elle avait des rides ci et là sur son minois, prouvant qu’elle avait bien vécu. Sans bruit, la petite main pâle de l’enfant avait dirigé ses doigts en direction du corps familier à son côté, lui arrachant un sursaut revenu des morts.
‘’Petra! Oh, ma Petra…’’ Elle avait lâché ses baguettes dès que son regard avait croisé celui de sa petite-fille, s’embrumant sur-le-champ de larmes qui jusque-là, s’étaient refusées à perler. Sa grande main reposait désormais sur la sienne, serrant ses petits doigts contre sa paume dans un effort herculéen de réconfort.
‘’Laisse-moi aviser l’infirmière que tu es réveillée, nous devrions pouvoir partir dès que possible. Tu dois venir chez moi pour.. Pour un temps ma chérie, mais ne t’inquiète pas. Tout va bien aller, tout va bien aller…’’ Leurs mains avaient dû se détacher quand le corps de Pauline s’était levé, passant un instant ses doigts ridés sur la tête de sa protégée.
Son regard lui perçait l’âme, elle la regardait comme on regarderait un mort qui ne l’est plus. Une fois seule dans sa chambre, Petra avait recroquevillée son corps frêle sous la couverture alors que ses mirettes observaient fixement le plafond. Elle avait le sentiment qu’une chose horrible s’était produite mais, jamais aurait-elle pu deviner jusqu'où la malchance avait couru cette soirée-là..
ANNÉES SUIVANT L’ACCIDENT. Chez Pauline. Waco, Texas..Le retour à la réalité avait été d’une brutalité sans pareille. La jeunesse de Petra mélangée au drame passé avait créée un cocktail explosif que même le plus ivrogne n’aurait désiré siroter. Sous la tutelle de sa grand-mère, l’enfant vieillissait sans donner sa place. L’âge avancé de Pauline amenait aussi son lot de difficultés et le tempérament exécrable de sa petite-fille n’aidait en rien la situation. Toutefois, Pauline était de ceux et celles dont la détermination ne savait faillir.
Bien résolue à élever cet enfant au meilleur de ses capacités, elle s’y donnait corps et âme afin de tempérer l’attitude indisciplinée de Petra. D’une certaine façon, l’aïeule vivait son deuil en se jetant dans le travail acharné que représentait l’éducation d’une bouille en mal de vivre.
L’enfance avait été le plus difficile, s’en suivant d’une adolescence durant laquelle la jeune fille s’était enfuie dans les études et était donc devenue un brin moins chaotique. Il y avait un petit quelque chose de bien qui s’était résulté de toute cette tragédie - Petra n’avait pas la fibre amicale, elle y préférait sa croissance intellectuelle. Elle avait cette manie à se tenir loin de tous et chacun et elle avait fixé son but pour la mémoire de ses géniteurs. Pauline s’était assurée de vanter le désir ardent de ses parents de la voir poursuivre des études dans la médecine, dont l’héritage laissé par ses géniteurs serviraient à paver de belle façon, son entrée à l’Université Baylor au Texas.
Elle lui avait remis divers ouvrages et calepins appartenant à sa génitrice, afin qu’elle puisse y puiser toute sa soif de connaissance. En même temps, peut-être pourrait-elle renouer avec sa mère d’une quelconque façon - Petra y était d’ailleurs résolue, se surprenant à lire les notes de sa créatrice à voix haute lorsqu’elle étudiait, prétextant ainsi qu’elle n’était pas seule à ce moment afin de se réconforter discrètement.
Les mots, la calligraphie et le papier de ses carnets étaient les seuls vestiges d’une mère absente, aussi ne pouvait-elle pas faire autrement que de lui donner vie, dans sa tête.
D’une certaine façon, Pauline avait réussi à résoudre une partie difficile du caractère de sa petite-fille en déversant son attention dans l’apprentissage et la nostalgie à la place des mauvaises fréquentations. Enfin, l'aïeule pouvait désormais souffler un peu, pour le moment…
SEPTEMBRE 2030Études à l’université de Baylor. Comme à chaque fin de journée scolaire, Petra embarquait sur son vélo pour quitter le campus et se diriger à toute vitesse dans les rues de Waco. Son sac à dos reposait confortablement derrière elle pendant que son avancée ne se faisait pas sans risques au vu de sa conduite. Elle serpentait entre les voitures et passait tout près de rentrer en collision avec ordures et humanoïdes sur son passage, jusqu’à arriver à la résidence pour personnes âgées. Depuis quelques mois, Pauline avait dû se rendre à l’évidence qu’elle n’avait plus la force de rester seule dans la demeure familiale. Petra était aux études et il était inconcevable pour elle de forcer sa petite-fille à venir l’aider dès qu’elle avait besoin d’elle. Ainsi, elles avaient décidé de la placer en résidence. Pas n’importe laquelle toutefois, car l’éducation que Pauline avait offerte à Petra avait réussie à toucher un brin à ses émotions, affilant sa fibre empathique et orgueilleuse par la même occasion. Il avait donc été convenu de trouver un stage pour Petra dans une des résidences à Waco et d’y faire déménager sa grand-mère.
Une fois arrivée, la belle devait bien simplement changer ses vêtements et aller poinçonner sa carte de temps avant de commencer sa première ronde. Celle-ci se terminait alors que le ciel commençait à s’assombrir et la jeune dorée se retrouvait dès lors au chevet d’un visage familier, celui de sa grand-mère.
Petra s’affairait à lui prodiguer les soins nécessaires et qui n’étaient pas d’une grande complexité. Elle lui donnait ses comprimés et au besoin, les prises de sang et autres tests nécessaires qui lui étaient permis de faire. Elle prenait ensuite place au pied du lit pour venir lui masser les jambes, aidant à la circulation sanguine tout en discutant de tout et de rien. La vieillesse de Pauline se faisait voir non pas seulement physiquement mais aussi, de par les bilans de santé et le nombre de pilule qu’elle se devait de prendre tous les jours. Voir l’état de la personne la plus importante à ses yeux se dégrader ainsi, amenait sans surprise son lot de complications émotionnelles chez la jeune femme.
Une fois sa mamie bien reposée, Petra débutait enfin ses devoirs et son étude en se perdant plus souvent qu’autrement, dans la mélancolie d’une résidence trop silencieuse. Ses journées, semaines et mois se ressemblaient tant la routine s’installait durement. Elle allait à ses cours, quittait le campus pour aller travailler, elle prenait ensuite le temps de prendre soin de sa grand-mère et terminait sa journée avec son étude et ses devoirs lorsque les aiguilles du cadran pointaient toutes deux vers 22:00.
Les années passèrent ainsi alors que le cerveau de la belle se noircissait lorsqu’elle s’extirpait du campus pour survivre à sa routine imposée. Les années 2030 à 2033 avaient été les années sombres pour la belle qui avait commencé à perdre la bataille contre son for intérieur. Les commérages et informations concernant une humanité compromise tout autour, n'aidaient en rien à son moral. À la fin de chaque journée, elle quittait la résidence pour aller s’asseoir dans un coin reclus d’une ruelle et ingérer ces médicaments destinés à engourdir l’âme. Ils ne lui étaient pas prescrits et disparaissaient des étagères de l’infirmerie. Bien qu’elle ne soit pas la seule infirmière à travailler dans cette résidence, elle était bien consciente qu’elle jouait avec le feu en ce qui a trait à sa carrière et à ses études.
Rien d’autre n’aidait son mal de vivre et si on lui parlait d’une dépression, elle était la première à cracher au visage. Son physique avait lui aussi suivi la mode imposée par son esprit, agençant un maquillage lourd et noir sur ses yeux en offrant un contraste flagrant avec ses mirettes claires. Sa chevelure était devenue indomptable et de gros cernes creusaient sans scrupule la peau sous ses yeux. L’abus de substance ainsi que l’incapacité à gérer un horaire du temps chargé lui piochait petit à petit, une tombe sous les pieds.
ANNÉE 2034Le renouveau ou bien, une mauvaise blague. Depuis un temps déjà, tout le monde ne cessait de jacasser à propos d’une fin du monde, d’un virus ou bien d’une épidémie en cours. Les armes à feu avaient un tout nouvel engouement autour d’eux et il était devenu très rare de voir les gens sans. La peur prenait petit à petit toute la place et les écoles avaient fermé leurs portes dû à une situation de crise décrite. Petra ne s’en plaignait pas, elle qui était au bout du rouleau depuis plusieurs années déjà. Les armées étaient envoyées en renfort dans plusieurs villes des États-Unis, avisant les voisins d’hostilités éventuelles.
Les premiers jours étaient bizarrement passés, tous les résidents ainsi que leur visite étaient désormais scotchés dans le salon à suivre les nouvelles de plus en plus troublantes. Petra s’y arrêtait par moment pour y ingérer l’information, clignant des yeux lorsque les médias dévoilaient ce qu’ils appelaient des zombies. Les images de décapitation et de lacération devenaient monnaie courante plus les jours s’enchaînaient.
D’abord, la pâle avait remarqué la descente au niveau de l’inventaire des comprimés dans la résidence. Loin d’être parfaite, elle avait suivi le bal et s’était empoché des pots d’opioïdes sans en ressentir le moindre remords. Ensuite, les visites auprès des aînés se faisaient de moins en moins et pour preuve, le registre se vidait un peu plus à chaque levé. Après quelques jours seulement, plus personne ne venait. Les infirmières se devaient de rester, bien qu’un bon nombre d’entre elles avaient tout simplement décidées de ne plus sortir de chez elles, ou pis encore. Peu de temps après, une cellule de crise s’était mise en place et avait poussé à la quarantaine d’urgence. Les résidences avaient donc fermé leurs portes et Petra se noyait entre-temps, un peu plus encore dans sa prise de médicamentation. Son esprit trouble ne se calmait pas, demandant surdose par-dessus surdosage afin d’apaiser la frousse dans ses veines.
Elle avait remplacé son temps d’étude par le travail, restant au chevet de sa grand-mère une grande majorité de son temps alors que la paranoïa dansait tout autour. Elles n’allaient plus dans le salon ou tous les patients se retrouvaient afin de regarder les nouvelles et autres, elles n’allaient plus non plus manger en bas. Il y avait un petit quelque chose chez tous et chacun, quelque chose qui empestait la terreur et la maladie.
Le minois pâle de Petra se retournait en direction des fenêtres à chaque fois qu’une voiture de police passait à toute vitesse près de l’immeuble, lui glaçant le sang par la même occasion. Une voiture par heure, puis deux, puis quatre… La population devenait une menace et les forces de l’ordre cherchaient ou donner de la tête. Petra avait commencé à verrouiller la porte de la chambre de son aînée à chaque fois qu’elle entrait ou sortait, la méfiance devenait une seconde nature et il était hors de question que quiconque s’en prenne à Pauline.
Après un court laps de temps, trop court même, Waco était près d’être devenu une ville déserte, à l’exception des gens sans scrupules qui osaient s’y promener à des fins de braquage et autres normes anarchiques. Certains voisins de chambre se laissaient à dire que leur famille avaient dû barricader leurs maisons dû aux intrusions et aux attaques de plus en plus fréquentes. D’autres quant à eux, sombraient dans la démence en suppliant le ciel d’épargner leurs enfants, petits enfants et amis, incertains quant à leur sécurité. Petra ne savait quoi en penser tandis que Pauline, pleine d’espoir, laissait planer l’idéologie que la médecine règlerait tout. La médecine ainsi que le mur, il ne pouvait en résulter que du bon. Force était d’admettre que la médecine ne semblait rien régler et que ce barrage clôturait non seulement les bons, mais les mauvaises personnes aussi. Aussi, de jour en jour, l’état de panique et de destruction grandissait tout autour.
Pendant que Petra s’affairait à faire les cent pas entre la chambre 314 où logeait sa grand-mère, et les autres locaux où elle allait chercher médicament et nourriture, son regard se surprenait à couler de plus en plus souvent par la fenêtre. Cela devrait bientôt faire une, peut-être même deux semaines qu’ils avaient dû fermer les portes de la résidence et à l’extérieur, tout était différent. Si elle plissait un brin ses yeux, elle pouvait apercevoir une désorganisation agressive dans les rues. Une bribe de souvenir lui rappelait que cela devait bien faire plusieurs jours qu’elle n’avait pas entendu de véhicules rouler, ni de policiers faire leur ronde. Depuis que le réseau internet avait cessé de fonctionner et que les médias ne criaient plus l’information, il était devenu difficile de suivre l’évolution chaotique du monde actuel.
13 Mai 2034La dernière danse.En pleine nuit, les alarmes de nombreux véhicules avaient soudainement commencé à jacasser d’une symphonie lugubre, un peu partout dans la ville. Le visage plissé de Pauline s’était retourné craintivement en direction de la fenêtre alors que l’effroi était devenu cause d’insomnie depuis plusieurs semaines. Il faisait nuit, la pénombre enveloppait tout ce qu’elle pouvait et pourtant, ça ne l’empêchait pas d’avoir un frisson tout le long de l’échine ainsi que sur les bras. Quelque chose se passait et étrangement, ça semblait avoir ciblé la résidence. Ses petits yeux cernés s’étaient plissés durement vers l’extérieur avant de se reposer sur sa petite fille qui siégeait à son côté. La drogue était ce qui l’aidait à dormir paisiblement depuis des semaines et bien que Pauline cherchait à ne rien voir, il était de plus en plus évident que sa protégée perdait la tête.
Après un moment, le vacarme avait explosé à l’extérieur et Pauline jurait y voir une horde de morts s’abattre sur tout ce qu’ils avaient sous la main, y compris les grandes portes au rez-de-jardin. Ce qu’elles avaient vu aux infos avait désormais franchi le Texas et chercher à comprendre comment ils avaient réussis à mettre les pieds dans les rues de Waco à cet instant, était loins de préoccuper la vieille femme. Elle entrevoyait des corps se jeter sur ce qui osait encore bouger, puis s’approcher dangereusement du bâtiment destiné au repos des aînés. Ses doigts fripés serraient distraitement la croix pendue à son collier, marmonnant tout bas, des bribes de la genèse de la bible, ou il était dit ‘’qu’il’’ détruira le monde.
Des coups allaient bientôt marteler l’entrée et les fenêtres, exerçant un pouvoir d’affolement dans tout le bâtiment. Les cinq étages clamaient leur terreur, les uns déambulaient à toute vitesse dans les corridors à la recherche d’une sortie avant que le pire n’arrive. Il n’avait pourtant pas fallu attendre bien longtemps avant que le chaos et la mort ne se propagent dans les couloirs. Il n’y avait après tout que des personnes en fin de vie et des infirmières à bout de souffle dans l’immeuble, rien de bien extraordinaire pour stopper ce qui déferlait désormais sur eux.
Il avait fallu un bon moment et de nombreuses gifles avant que Petra ne se réveille sous le regard terrorisé de sa grand-mère qui cherchait à s’extirper de son lit.
‘’Petra, Petra, Petra! C’est la fin du monde, les voisins avaient raison - c’est vraiment fini, il faut partir!’’ Le regard embrumé et le cerveau au ralenti, la pâle avait difficilement levé une main pour la passer sur son visage, frissonnant sous le contact de sa peau qu’elle trouvait si lisse à cet instant. Ses pensées avaient rapidement repoussé la demande de l’aînée pour se concentrer sur la palpation de son faciès.
Ses doigts s’étaient perdus un long, très long moment à tâter ses joues, pendant que le tapage créait un vacarme incroyable dans tout l’établissement. Il y avait des sursauts et des portes claquées, des hurlements et des meubles fracassés d’étage en étage. Pauline, qui était coincée dans son lit au vu de sa condition, cherchait par tous les diables à réveiller sa petite fille pour les sortir toutes deux de là.
Celle-ci lâcha dans un grondement
‘’Shh.. Shh.. C’pas la fin du monde… AH! Je m’en souviens, tu t’en souviens, toi? Pas sûr.. La policière, cette obèse de mes deux… Elle avait dit la même chose, tu t’en souviens grand-maman? C’EST PAS LA FIN DU MONDE’’ Elle avait crié ses paroles avant d’éclater d’un rire dément et mélancolique sous les yeux écarquillés de Pauline. Elle devait avoir compris qu’il n’y avait rien à faire car ses mains avaient rapidement fait un signe de croix dans les airs avant de se joindre l’une contre l’autre pour commencer à prier. Le vacarme se rapprochait et le grondement aussi, jusqu’à ce que la porte de la chambre 314 ne soit à son tour victime d’agression.
Petra avait alors tourné la tête en direction de l’entrée, plissant ses yeux vitreux pendant que l’état de panique s’infiltrait petit à petit dans son sang. Pauline avait commencé à pleurer à chaudes larmes à côté d’elle, la sommant de faire quelque chose. Au meilleur de ses capacités, c’est bien ce qu’elle avait tenté de faire alors que son corps s’était redressé avec beaucoup de difficulté. Mais, la force des médicaments qu’elle avait ingérée plus tôt ne sauraient se dissiper aussi rapidement que demandé, et son cerveau engourdis n’était pas l’arme la plus affûtée du fourreau en ce moment.
Le sentiment d’urgence cherchait toutefois à apparaître et aidait la pâle à réfléchir, si ce n’est qu’un tout petit peu. Ses mains s’étaient alors refermées mollement sur les bras de sa chaise dans le but de soulever celle-ci à mesure que la porte de la chambre se faisait varger. Sans force ni précision, Petra allait balancer le fauteuil sur la vitre afin de chercher à la briser. Une fois, puis deux… Trois, six, dix fois, sans succès…
‘’Petra, PETRA DÉPÊCHE-TOI’’ Les larmes commencèrent à couler le long des joues de la jeune demoiselle alors qu’impuissante, elle frappait et frappait encore la vitre qui ne se craquait pas assez vite. Le bad trip brouillait son cerveau alors que son anxiété avait grimpé au sommet. Une crise existentielle se livrait bataille dans ses neurones, pourquoi avait-elle dû se droguer cette nuit-là, pourquoi n’avait-elle pas été plus futée, pourquoi…Son sang avait fait plus d’un tour alors que son visage était devenu blanc comme neige au son guttural et râpeux des plaintes de l’autre côté de la porte. Cette même entrée qui ne tiendrait plus longtemps à se fier aux pentures, au bois et à la force que déployaient ces bêtes immondes.
Ses épaules s’étaient alors affaissées d’un coup pendant que son dos s’était laissé tomber contre la vitre toujours en place derrière elle. Rien n’y faisait, elle n’avait pas assez de force et son état embrumé nuisait complètement à la situation d’urgence. Les larmes étaient alors montées à nouveau dans ses yeux pour chuter sur ses joues humides, tandis que sa grand-mère s’époumonait de terreur. Petra ressentait la situation comme une faute énorme, cette femme qui l’avait recueillie et élevée alors que de son côté, elle n’arriverait pas à la sauver. Il fallait qu’elle se l’avoue, et qu’elle lui avoue à elle aussi.
‘’ Grand-mère, je…’’Un dixième de seconde trop tard, car la porte avait cédé dans un énorme fracas pour laisser place à un cauchemar ambulant. Des goules, des morts-vivants, des… Petra n’avait pas même eu le temps de commencer à détailler leurs assaillants qu’elle eût les yeux ronds de terreur en moins de deux. Sa grand-mère se faisait déchiquetée, lacérée et ses membres se faisaient tirer de tous côtés dans la pièce, juste devant elle, juste sous ses yeux. Le sang giclait d’un bout à l’autre alors que le halètement des morts couvrait la résidence d’une musique sanglante tout autour. En moins de deux, le corps de Pauline n’était plus qu’un doux souvenir difficile à avaler. Son tronc avait été arraché sous la force de ses agresseurs et le reste de sa chair et de ses boyaux se faisaient disputer le propriétaire.
Ceux n’ayant pas réussi à arracher un morceau de feu Pauline, se retournèrent brusquement en direction de l’infirmière en état de choc qui était toujours appuyée à la vitre. Ils s’en approchèrent d’un coup et sans crier gare, laissant celle-ci relever difficilement le fauteuil entre eux pour tenter bien que mal de les garder à l’écart. Ses os étaient molasses et ses réflexes quasi inexistants. Aussi, les dents acérées de l’une de ces créatures avaient réussies à s’infiltrer dans son avant-bras pour arracher le morceau qu’elle avait emprisonnée dans sa gueule d’un coup sec et puissant. D’une rapidité sans pareille, le même mort s’était aligné pour une deuxième bouchée en plus de tirer sans façon sur les muscles mis en pièces.
Cric…crak.. CRAK! Sous le poids et la force que ces créatures sanguinaires avaient déployées contre la jeune femme dans le but de la dévorer à son tour, la vitre avait cédée. Le corps amorphe de l’infirmière était passé par-dessus bord dans une chute qui la fit atterrir dans l’escalier de secours, lui échappant une lourde plainte sous le choc. Elle n’avait toutefois pas eu le temps de reprendre son souffle qu’aussitôt étendue, elle avait dû se relever d’un bond alors que les créatures la suivaient dans sa chute. Quelques-unes s’assommèrent sur la rambarde de l’escalier pour ensuite finir leur course trois étages plus bas, tandis que quelques autres avaient réussi à atterrir tout près d’elle.
L’adrénaline au fond malgré son intoxication, Petra s’était hissée du mieux qu’elle pouvait sur ses deux jambes amorphes dans le but de monter les escaliers au plus vite. Loin de connaître la fatigue, les morts la suivaient de très près et arrivaient à lui écorcher les jambes et déchiraient le bas de son pantalon. Le souffle court, Petra sentait son sang bouillir dans ses veines mais, elle ne pouvait pas abandonner. Pourquoi pas? Elle aurait enfin la fin qu’elle méritait, après tout… Sans réussir à mettre le doigt sur la raison qui la poussait à ne pas se laisser mourir, l’infirmière avait grimpé les deux derniers étages restants dans un temps record, se retrouvant sur le toit de la résidence en moins de deux.
Son bras pissait le sang et ses jambes étaient entaillées ci et là, poissant à leur tour les chaussures plus très blanches de la belle. Sa main poisseuse de sang s’était alors abattue sur son front pendant qu’elle cherchait à voir droit devant elle. Le mélange entre la drogue et l’adrénaline lui créait des spasmes désagréables mais, il devait lui rester encore un tout petit peu d’énergie pour empêcher ses trois monstruosités de la déchiqueter vivante. Petra attendait, attendait et attendait encore… Jusqu’à ce que les cadavres aient réussi à monter tous les trois. Dans un sprint final, le dernier sprint pour sa vie, elle avait foncé tête baissée sur eux en les faisant passer par-dessus la petite balustrade du toit, s’assommant au passage.
‘’Saloperie !! ’’ avait-elle crié du fond de son âme, alors que les morts tombaient.
Elle perdait la tête, tout autour commençait à tourner et ce n’était absolument pas le même trip que ce qu’elle avait l'habitude d’ingérer. Son corps s’était fracassé contre la rambarde et c’était désormais au tour de sa tête de saigner. Recroquevillée contre les roches sur le toit, Petra s’était laissée rouler sur le côté pour tomber sur le dos, face au ciel.
Elle allait mourir, elle sentait la vie quitter sa carcasse et c’était bien fait. La température de son corps avait grimpé dangereusement et avait atteint un état de non-retour, pendant que son corps était parsemé de spasmes désagréables. Ses yeux roulèrent dans leur orbites et sa tête eut à peine le temps de se tourner qu’un haut de cœur avait résulté d’une marre de vomis qu’elle avait à peine réussi à envoyer à côté. Son corps la lâchait, tous les signes s’alignaient mais au moins, elle ne se faisait pas bouffer vivante. Pas encore, du moins.
Le souvenir très présent du corps de sa grand-mère lacéré de partout lui revint à l’esprit tel un mirage dans le désert. Un grognement sonore s’était alors extirpé de ses lèvres serrées et poisseuses, tandis que la colère avait croqué ce qui lui restait de ses forces. Des larmes étaient venues perler, se mélangeant au sang et à la viscosité de ce qu’elle avait dégueulé quelques instants plus tôt. Elle pleurait et elle grognait, elle maudissait la vie, le ciel, les gens, la médecine, elle maudissait et jurait envers et contre tous…
La pesanteur de ses mains et de ses muscles lui rendait la tâche difficile pendant que son souffle semblait s'être coincé de lui-même dans sa gorge sans échappatoire malgré ses mains enserrées à son cou. Ses doigts avaient glissé le long de sa peau sous l'effort herculéen que représentait de garder ses bras levés, aboutissant d'un coup contre le sol rocailleux. Les picotements et les spasmes enserraient peu à peu chacune des parties de son corps, jusqu'à ce que le vide ne l’emporte et la laisse sombrer dans l'inconscience...